Le réemploi, commune idée de territoire.
La loi AGEC s’invite dans le quotidien des français dès le 1er janvier 2021. Ce nouveau cadre Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire s’applique déjà dans de nombreux secteurs en pointant les plastiques à usage unique, allongement de la durée de vie des produits, la préservation des ressources, et l’augmentation du recyclage. C’est dans cette dynamique que RE-Label s’inscrit : pour la transformation de pratiques au sein d’ateliers fabricants, pour faciliter la mise en action d’une démarche d’économie circulaire au sein d’un écosystème d’acteur sur son territoire.
Depuis dix ans, plusieurs dizaines d’ateliers de fabrication du Nord-est parisien – tiers lieux et petites entreprises – se sont réunis pour mettre en partage des services, des compétences, des outils et des formations. À plusieurs reprises, cette communauté a démontré sa capacité à s’engager sur divers sujets, à penser une mission sociale au-delà de sa fonction productive, fabricante. On peut noter l’engagement collectif vers des pratiques moins impactantes écologiquement, plus sobres énergétiquement, plus re-distributrices. Les enjeux du réemploi – et du recyclage – sont travaillés quotidiennement, à différentes échelles, au sein des ateliers et des réseaux comme l’association Fab City Grand Paris. Pourtant au regard de l’économie classique, ces activités restent un terrain d’observation secondaire, invisibles et mal coordonnées. RE_label propose un nouveau schéma d’observation grâce à des outils et des méthodes à disposition d’un groupe d’acteurs (ateliers, lieux de stockage, designers…) sur un territoire donné.
RE_label est porté par l’association Ars Longa dans le cadre d’un programme de recherche-action REFLOW (reflowproject.eu) qui associe une trentaine d’acteurs (universités, associations, entreprises) de différentes tailles et nationalités autour de 6 villes pilotes européennes. REFLOW questionne la capacité des métropoles à prendre conscience de leur empreinte écologique sur le cycle de vie et les flux de matériaux qui répondent aux besoins des ville. RE_label est la pierre expérimentale que nous apportons grâce à l’observation et la qualification des pratiques au sein de chaque atelier. Ce sont aussi des protocoles que nous itérons en collaboration étroite avec les acteurs du territoire pour proposer une méthode et des outils simples, accessibles. Notre équipe s’appuie également sur les travaux et expertises associées aux programme REFLOW : l’association Fab City Grand Paris, l’entreprise Volumes Coworking et la Ville de Paris. Dans le cadre de ce programme de recherche collectif, Paris adresse le secteur de l’événementiel et plus particulièrement les flux de matériau bois.
Petit manuel RE_label à l’attention des up’cyclers.
Une observation dans le temps
Parmi les domaines encore difficilement accessibles aux routines de l’automatisation, le réemploi nécessite un besoin accru de temps et de compétences femmes/hommes pour sourcer, identifier, qualifier la matière et lui désigner un nouveau circuit d’utilisation. Parce que cette compétence est mal identifiée, Ars Longa propose avec RE_label d’en faire l’axe d’analyse principal de son outil de suivi.
Notre protocole observe les pratiques pour rendre compte de l’activité en mouvement dans l’atelier à travers certaines réalisations aux qualités remarquables. Lorsque l’outil RE-label se déploie, un premier travail d’analyse et d’étalonnement est nécessaire pour faciliter l’engagement de la communauté dans le dispositif. Sur la base des 6 derniers mois d’activité, en s’appuyant sur le formulaire et la méthodologie RE_label, l’atelier reporte ses taux d’effort homme/femme observés et les volumes de matériaux engagés en précisant si nécessaire la qualité des ouvrages réalisés sur cette période. Ce premier travail permet de générer un label d’ ‘ouverture’ qui s’inscrit sur une carte, au même titre que les autres ateliers engagés. Ce RE-Label, identité graphique initiale de l’atelier, évolue dans le temps. Les efforts de l’atelier sont ensuite relevés régulièrement, suivant une fréquence déterminée collectivement (mensuel par défaut). Ainsi, le label se déplie dans le temps et valorise à la fois une démarche singulière et collective dans un écosystème défini. Les données, devenues variables, offrent une lecture de l’évolution de chaque projet et interrogent la capacité d’un groupe d’acteurs à fluidifier ses interconnexions et valoriser ses pratiques sur le réemploi.
Une certification pour la transaction
RE-label offre la possibilité de valoriser un projet d’objet, d’aménagement – unique ou en série – marqueur de la démarche d’un lieu, d’un créateur. C’est la certification RE_label.
Lors d’une vente, vendeur et acheteur peuvent appuyer leur transaction sur des éléments de mesures factuelles (provenance, historique, qualité du matériau, temps femme/homme). RE_Label propose de réunir ces éléments dans un même document, le certificat RE_Label, édité par un générateur en ligne. Le document est daté et signé par le designer ou le chef d’atelier. Cette démarche acte de manière simple et rapide les spécificités et singularités d’une réalisation. Cette attestation rend compte d’informations quantitatives et qualitatives suivant le même système d’entrées de données du formulaire de suivi.
Un catalogue d’objets et de réalisations RE_Label
Chaque écosystème a la possibilité de constituer un catalogue d’objets labellisés RE-label, visible en ligne. Au-delà de sa fonction d’achalandage, le catalogue peut être un outil puissant pour dynamiser une collaboration entre ateliers par la mutualisation et l’optimisation de fichiers de découpe. Cette mutualisation peut se faire grâce à l’accès partagé d’une librairie de formes utiles/nécessaires permettant la constitution de petit stock déconcentré de pièces pré-découpées, afin d’éviter la la mise au rebut des chutes.
Initier un projet RE_Label
Inscrire son territoire sur une dynamique de labellisation, c’est avant tout rendre visible une démarche collective, consciente des enjeux du Réemploi. Si la boîte à outils RE-Label est constituée d’une cartographie, d’un formulaire et d’un générateur en ligne – accessible librement – elle s’accompagne d’une aide à la prise en main collective de la méthode et de ses outils.
Cette animation, ou orchestration, est animée par une des partie prenante de la communauté d’acteurs impliquée. Elle est privée (association, coopérative) ou publique (collectivité : ville, communauté d’agglomération, département ou région). Son rôle de coordination est modulé en fonction des outils de gouvernance utilisés sur le territoire. Le portage par une entreprise de grande taille n’est pas impossible, mais le cas de figure n’est pas étudié.
Le coordinateur initie un premier travail de mise à niveau des connaissances des acteurs lors d’une réunion d’information et s’assure d’un engagement commun : développer une pratique du réemploi et du recyclage intégrée à petite échelle dans le secteur de la conception et de la production d’objets et d’aménagements.
Il organise ensuite un ou plusieurs ateliers pour la prise en main du dispositif, s’assure de la bonne coordination des premiers résultat puis déplie la communication autour du projet. Son rôle d’orchestrateur doit permettre de faciliter l’entrée des données des participants, rendre compte collectivement des évolutions, d’accueillir de nouveaux acteurs et d’animer la confiance pour un dialogue de pair-à-pair.
RE_label, le récit de l’invisible
Les pratiques entre ateliers diffèrent et laissent une place plus ou moins importante au réemploi. Dans ce secteur, les créateurs, concepteurs, designers sont soumis à une contrainte supplémentaire : il doivent intégrer des variables nouvelles au cœur de leur projet : la quantité et la qualité d’un gisement de matière éphémère et/ou discontinu. Ces variables deviennent le cadre contraint et inspirant de leurs réalisations. Cette nouvelle façon de « penser » la commande implique de réarticuler des automatismes de travail. C’est pourquoi RE_Label tente d’extraire et de distinguer en priorité les données « temps conception/production réemploi” et temps gestion/management réemploi » qui tentent de cerner l’effort consacré hors conception/production (la recherche de matériaux et gisements, le démontage de dispositifs en vue de leur réemploi, l’organisation et le stockage de la matière, sa mise en forme standard (recoupe, ponçage…).
Depuis un an, nous enquêtons auprès de designers, artisans, ateliers, lieux de stockage, lieux temporaires, ressourceries et collectivités pour déterminer les protocoles de travail les plus pertinents et adaptés à la vie d’un atelier. Les informations récoltées offrent une lecture des forces et faiblesses du territoire sur les sujets de réemploi, sur les besoins d’une communauté d’acteurs engagés. C’est aussi un éclairage nécessaire sur les efforts associés à nos pratiques et représentations du réemploi.
Invisibles, souvent dévalorisées et sous payées, les heures de travail passées à qualifier et réintégrer les matériaux d’une première vie dans un nouveau projet sont les pivots formidables d’un apprentissage de l’économie circulaire, un temps d’expérimentation pour tester certaines représentations du monde d’après. Comme pour la logistique et son économie du dernier kilomètre, RE-Label s’inscrit dans une stratégie de mise en visibilité des premières heures du RE-emploi qui constituent la clé du secteur, un atout pour une consommation responsable.
Vincent Guimas
Directeur ArsLonga
Urban Designer